« Coma » de Bertrand Bonello : Un pas de plus vers le cinéma expérimental

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Le confinement imposé durant la pandémie de Covid-19 nous a tous plus ou moins perturbés, d’une manière ou d’une autre. On ne sait pas précisément comment Bertrand Bonello l’a vécu, mais il en a sorti un nouveau long-métrage. Avec Coma, le réalisateur adopte une démarche plus créatrice et propose un produit hors-normes, à l’esthétique originale. Un film abstrait, parfois inexplicable, presque expérimental.

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Une adolescente de notre époque (Louise Labeque) reste constamment enfermée dans sa chambre. Son seul rapport au monde extérieur est virtuel. Guidée par une Youtubeuse mystérieuse, Patricia Coma (Julia Faure), elle navigue entre ses rêves et ses cauchemars, entre fiction et réalité.

Un conseil : si vous n’aimez pas le cinéma de David Lynch, fuyez ! L’ambiance générale de Coma et sa mise en scène rappellent fortement l’univers du réalisateur américain : surréaliste, onirique, parfois dérangeant. Et surtout, une histoire qui ne propose pas forcément des explications pour tout, comme dans Lost Highway (1997) ou Mullholland Drive (2001). De la même manière, Coma est un mélange de réel et d’imaginaire, et brise les codes d’une narration conventionnelle.

Betrand Bonello propose un film hybride qui mélange les genres et les textures. Pour cela, il multiplie les dispositifs, bien souvent en lien avec les réseaux sociaux : des extraits fictifs de vidéos YouTube, des scènes qui se déroulent via Zoom ou en FaceTime, mais aussi du dessin animé, et du stop motion avec des poupées Barbie (voix assurées par Lætitia Casta, Gaspard Ulliel, Anaïs Demoustier, Vincent Lacoste et Louis Garrel)… En somme, des supports que vous n’aurez pas l’habitude de voir sur grand écran. Ces « expériences » rendent l’ensemble intéressant : on est face à un produit artistique à part entière.

Louise Labeque © Les films du Bélier / My New Picture / Remembers

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Autre élément dans Coma qui découle de l’influence de David Lynch : Bertrand Bonello travaille beaucoup sur l’inconscient et s’écarte de toute rationalisation. Le résultat est très sensoriel, musical. La musique du film a d’ailleurs été composée par Bertrand Bonello lui-même, comme pour tous les autres (hormis pour Tiresia). Ces éléments forment un tout, et montrent à quel point le cinéaste est scrupuleux sur chaque détail – il a aussi écrit le scénario.

Le film interroge donc sur la notion de réel, à travers le personnage de la Youtubeuse Patricia Coma, sorte de prêtresse 2.0 qui commente l’état du monde par un recours à l’absurde, parfois de manière cynique et tordue, le tout, teinté d’humour noir. On ne sait pas si cette personne existe vraiment, ou si c’est le fruit de l’imagination de la jeune fille…

A travers ce film qui s’adresse en premier lieu à la jeunesse d’aujourd’hui, Bertrand Bonello aborde de nombreux sujets liés à l’actualité. D’abord une réflexion sur la liberté, et sur ses privations, pendant la pandémie, et même au-delà. On pense par exemple aux rares scènes où l’adolescente sort de chez elle : le spectateur se surprend à l’observer sur des caméras de vidéosurveillance. Seul espace de liberté possible : la forêt (dans les rêves de l’héroïne), un lieu angoissant qui représente les limbes. Bertrand Bonello interroge, au sujet de la mort : pourquoi sépare-t-on autant les vivants des morts dans la culture occidentale ? Que fait-on de nos défunts ? Comment vit-on avec le deuil ?

Julia Faure alias Patricia Coma © Les films du Bélier / My New Picture / Remembers

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Bertrand Bonello aborde également une réflexion intense sur la situation écologique de notre planète, via les scènes d’ouverture et de clôture. Enfin, il évoque le thème de la solitude, avec huis-clos très clos, et des personnages sans partenaire, face à la camera. Dans Coma, le réalisateur a créé plusieurs mondes isolés et les fait cohabiter par le montage. Une certaine philosophie et de la poésie émanent de toutes ces réflexions. Et même si la plupart des sujets sont assez sombres et pessimistes, le film comporte aussi, étonnamment, des passages drôles.

Coma est une œuvre intéressante par sa démarche créatrice… Les sujets abordés caractérisent bien notre époque et résument les questionnements personnels des spectateurs, en particulier les jeunes générations. Bertrand Bonello en profite pour dénoncer les maux du siècle : le déterminisme (tout est décidé pour nous à l’avance), les mesures imposées par un gouvernement en cas de crise sanitaire, ou encore le réchauffement climatique. Mais ce long-métrage ne s’adresse clairement pas à tous les publics : seuls les cinéphiles passionnés et aguerris pourront y trouver leur compte. On a nous-même pu l’apprécier, d’une certaine manière, sans pour autant en redemander.

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12 / 20

Fanny BL

Ce film a reçu le Prix FIPRESCI au Festival de Berlin 2022

2 commentaires sur “« Coma » de Bertrand Bonello : Un pas de plus vers le cinéma expérimental

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  1. Je l’ai bien aimé, pourtant je me considère pas comme cinéphile… Mais j’aime bien David Lynch, donc c’est pour ça peut-être ^^’
    Merci pour ce critique qui décrit parfaitement les nuances du film, néanmoins je mettrais 16/20!

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