« L’Evénement » d’Audrey Diwan : Le pire cauchemar des anti-IVG

Ecoutez d’abord ce petit podcast :

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Après le génial Mais vous êtes fous (2019), Audrey Diwan poursuit son chemin de réalisatrice accomplie. D’abord l’addiction à la drogue, ensuite l’avortement dans les années 1960 en France… La cinéaste a décidément le don d’aborder des sujets délicats avec finesse et à travers un angle très pointu. L’Evénement a récolté le Lion d’Or à la 78ème édition de la Mostra de Venise… Une récompense amplement méritée.

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Anne (Anamaria Vartolomei), brillante étudiante en lettres, tombe enceinte accidentellement. Elle décide immédiatement d’avorter, prête à tout pour pouvoir continuer ses études. Problème : nous sommes en 1963, époque à laquelle l’opération est encore interdite par la loi française. Anne va malgré tout s’engager seule dans cette course contre la montre.

Cela fait 46 ans. 46 ans qu’une femme peut se faire avorter légalement en France, depuis la loi du 17 janvier 1975, portée par Simone Veil. Si loin, et en même temps si près dans le temps, ce droit protège les femmes contre une grossesse non désirée, mais reste aujourd’hui très fragile. C’est ce qu’Audrey Diwan s’attache à rappeler avec L’Evénement, adapté du roman éponyme autobiographique d’Annie Ernaux, publié en 2000. La grossesse : un « événement » dans tous les cas, qu’il soit heureux ou malheureux.

D’abord journaliste et romancière, Audrey Diwan met le doigt là où ça fait mal et s’attaque avec talent à ce sujet très difficile. Elle pose la question aux spectateurs : « A votre avis, comment faisaient vos ancêtres ? » Hé bien, elles se « débrouillaient, comme pour tout le reste », dira l’héroïne du film. Car dans les années 1960 en France, tomber enceinte en dehors du mariage est un sujet très tabou : aucun mot appartement au champ lexical de la grossesse n’est d’ailleurs prononcé dans L’Evénement. A l’horreur de devoir subir une chose que l’on n’a pas choisie, s’ajoutent les non-dits, la culpabilité, et une douleur inévitable.

Anamaria Vartolomei dans le rôle d’Anne © PROKINO Filmverleih GmbH

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L’attente interminable des menstruations, l’anxiété ressentie à l’annonce de la nouvelle par le médecin, la crainte de ne pas réussir… Pour refléter tout ce mal-être, l’héroïne est filmée de très près, caméra à l’épaule, dans un format réduit en 1.37. Le spectateur n’est plus face à elle, mais bien à sa place. Il ressent les mêmes émotions et la même sensation d’étouffement.

Hormis une exception, la plupart des éléments sont suggérés, ce qui suffit amplement à nous mettre mal à l’aise, grâce à notre imagination. Certaines scènes sont insoutenables par leur côté physique et charnel, même si on ne voit pas tout, voire quasiment rien. Dans tous les cas, rien ne relève de la provocation gratuite : tout est justifié pour rendre compte de la souffrance morale et physique du personnage principal.

Ajoutez à tout cela un suspense grandissant : à mesure que le ventre de la jeune femme s’arrondit et que ses examens approchent, ses chances de pouvoir avorter se réduisent. Le corps qui change amoindrit aussi ses possibilités de garder le secret, et éloigne de plus en plus toute perspective d’avenir. La formule fonctionne. Le spectateur n’observe plus cette urgence de faire l’opération : il la vit.

Louise Orry-Diquéro, Luàna Bajrami et Anamaria Vartolomei © Wild Bunch

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L’Evénement est aussi encourageant et inspirant grâce au combat de cette étudiante qui ne se laissera pas abattre et affrontera ce problème dans la plus grande solitude. Pour l’incarner : Anamaria Vartolomei, révélée en 2011 dans My Little Princess face à Isabelle Huppert. La jeune actrice est à la fois mystérieuse et puissante, au regard très profond, qui peut en dire beaucoup, sans qu’elle ait besoin de parler. Ce silence rappelle celui de l’héroïne du film Never, Rarely, Sometimes, Always d’Eliza Hittman (2020), même si l’histoire ne se passe pas dans le même pays ni à la même époque.

A travers une réalisation soignée et ciblée, Audrey Diwan aborde un sujet compliqué, mais important et nécessaire, aujourd’hui encore, même si le droit à l’avortement existe… Un acte désormais possible, « facile », presque banal, même si la douleur sera toujours présente sous toutes ses formes, et que rien n’est jamais vraiment acquis ou définitif. La réalisatrice met à l’honneur ce droit, et glorifie le corps des femmes et leur liberté d’en disposer… Et pour ça, on lui dit merci.

18 / 20

Fanny BL

Anamaria Vartolomei et Sandrine Bonnaire © PROKINO Filmverleih GmbH

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