« Toi non plus tu n’as rien vu » de Béatrice Pollet : Le déni de grossesse vu à la loupe

Voilà un sujet encore bien tabou dans notre société, et très peu abordé au cinéma : le déni de grossesse. Ce phénomène de la nature n’est pas si rare, et pourtant toujours inexpliqué. Avec son deuxième long-métrage, Béatrice Pollet donne un coup de pied dans la fourmilière, et raconte l’histoire d’un déni, d’un point de vue judiciaire… Avec force et subtilité.

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Claire (Maud Wyler), avocate et mère de deux enfants, vit une relation stable avec son mari. En parfaite santé physique et mentale, elle est loin de se douter qu’elle est à nouveau enceinte, car son corps ne le lui dit pas. Claire va rencontrer de sérieux problèmes judiciaires suite à ce déni. Son amie Sophie (Géraldine Nakache), avocate elle aussi, va assurer sa défense.

Une femme enceinte, qui n’a pas conscience de l’être, à tel point que son corps ne se transforme pas et que personne d’autre ne s’en rend compte. Au moment de l’accouchement, elle se demande ce qui lui arrive : c’est l’état de sidération. Si elle est seule, le bébé sera en danger, car la mère va plutôt le considérer comme un « objet non identifié« , ne réalisant pas vraiment qu’il s’agit de son enfant. Voilà la définition d’un déni total de grossesse (non partiel), ce mécanisme du corps et de l’esprit encore méconnu des plus grands médecins, gigantesque mystère qui détruit des vies, au sens propre comme figuré.

Toi non plus tu n’as rien vu fait figure de « petit » film, sorti, presque sans bruit, le 8-Mars, date de la Journée internationale des droits des femmes, mais happé, entre autres, par la notoriété de François Ozon (son dernier film, Mon Crime, est sorti le même jour). Au grand désespoir de L’Oreille Cinéphile, il est finalement sorti dans peu de salles obscures et a enregistré 8 500 entrées en France (au 15 avril 2023), alors qu’il avait tant de choses à dire, et méritait bien plus qu’un simple coup d’œil… tout d’abord, pour le travail de longue haleine mené par Béatrice Pollet, qui a entamé ses recherches 12 ans plus tôt, après avoir lu, dans le journal, un fait divers sur un déni de grossesse.

Maud Wyler dans le rôle de Claire © Sensito Films

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La réalisatrice s’est extrêmement bien renseignée et documentée sur le sujet, à travers des témoignages de femmes victimes de dénis, et en questionnant des médecins, experts et avocats… Tout ce travail se ressent immédiatement au visionnage. Béatrice Pollet a fait le choix de raconter son histoire du point de vue juridique, ce qui aurait pu donner un résultat très complexe… Or, il n’en est rien. Tout est clair, limpide. Le spectateur suit l’histoire pas à pas, sans être bombardé de termes juridiques incompréhensibles. La cinéaste a d’ailleurs choisi un format plutôt court pour un long-métrage : 1h33, ce qui permet de pas alourdir davantage une histoire déjà pesante.

L’histoire de Toi non plus tu n’as rien vu est racontée sans pathos, de manière très simple, linéaire, tout en finesse. Elle interroge la notion de maternité (la volonté ou non d’avoir un enfant), et questionne la place des femmes dans notre société. Elle montre à quel point une femme victime d’un déni de grossesse peut être jugée, pointée du doigt, vue comme une « meurtrière » et une « sorcière », par les médias comme par son entourage. Aux yeux de la justice, elle représente même un « danger pour la société », selon les termes utilisés dans le film.

Grégoire Colin et Maud Wyler © Sensito Films

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En dehors de l’écriture et de la réalisation qui sont donc excellentes, le jeu d’acteurs est, lui aussi, très convaincant : Maud Wyler, dans le rôle de la femme victime d’un déni de grossesse, propose un jeu très juste, sans jamais exagérer ou caricaturer. L’actrice arrive à exprimer beaucoup d’émotions rien que par son langage corporel et son regard. Elle donne la réplique à une formidable Géraldine Nakache, qu’on se plaît à découvrir dans un rôle beaucoup plus sérieux.

« Une mère qui a eu un déni n’est pas une meurtrière mais une victime » : voici le message vibrant de Toi non plus tu n’as rien vu. Ce film ne résout évidemment pas le problème, et ne donne pas plus d’explication à ce mystère de la nature, mais appelle à la curiosité de l’autre, et forcément, à un peu plus d’empathie envers les femmes qui en subissent un.

Géraldine Nakache et Maud Wyler © Sensito Films

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Il est temps de changer les choses, en commençant par changer les mots. Le Docteur Oguz Omay, un psychiatre que Béatrice Pollet avait rencontré lors de ses recherches pour son film, lui avait fait part de sa volonté de changer le terme « déni de grossesse » en « grossesse non perçue »… Ce qui serait un bon début, et déjà un combat considérable.

Toi non plus tu n’as rien vu fait partie de ces films qui relèvent bien plus que du « simple » divertissement : ils nous instruisent et nous élèvent, avec l’objectif de mettre fin à certains préjugés et de faire évoluer les mentalités, dans une société où la femme, son corps et ses choix sont toujours incompris, quelle que soit la situation et les circonstances. On applaudit mille fois et on en redemande.

20 / 20

Fanny BL

Géraldine Nakache alias Sophie © Sensito Films

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