« Anatomie d’une chute », de Justine Triet : Une Palme d’Or vraiment méritée ?

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Samuel (Samuel Theis) est retrouvé mort au sol par son fils malvoyant de 11 ans, après une chute mystérieuse du haut de leur maison de montagne. Une enquête pour mort suspecte est ouverte, et Sandra (Sandra Hüller), la mère de famille, est rapidement désignée coupable. Commence alors une longue enquête et un combat judiciaire éreintant.

Justine Triet est une habituée du festival de Cannes. Elle a commencé au bas de l’échelle, en présentant son premier long-métrage, La Bataille de Solférino (2013), dans la sélection ACID, avant de gravir les échelons : Victoria (2016) en ouverture de la Semaine de la critique, Sibyl en compétition officielle en 2019… Anatomie d’une chute ne s’est pas contenté de figurer dans la programmation ou de participer à la compétition : il a triomphé de tous les autres, détrônant les multirécompensés Ken Loach (et ses sept prix cannois), Hirokazu Kore-Eda, ou encore Nuri Bilge Ceylan.

Sandra Hüller dans le rôle de Sandra © 2023 Les Films Pelléas/Les Films de Pierre

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Anatomie d’une chute nous plonge dans le milieu judiciaire de manière passionnante – les trois quarts du film se déroulent en cour d’assises. On suit l’enquête et le procès pas à pas, notre attention est happée. Chaque détail compte, chaque témoin et expert a tout son intérêt, sa part de responsabilité, sa pierre à apporter à l’édifice. Cela entraîne parfois quelques longueurs, pour une durée totale de 2h30, mais rien de bien méchant en soi. La mise en scène est maîtrisée, et le scénario soigneusement écrit (par Justine Triet, avec Arthur Harari). Bien qu’elle ne soit pas adaptée de faits réels, l’histoire est très réaliste et authentique, et se rapproche ainsi du documentaire ou du reportage.

La grande force du film, c’est la multiplicité des interprétations possibles d’après les différents éléments et témoignages de l’affaire. Le spectateur se positionne en juré et se pose un milliard de questions pendant tout le film, jusqu’à la toute fin, dont la principale : que s’est-il vraiment passé ? Pendant les longs interrogatoires, le doute est omniprésent, et on change d’opinion en permanence. Cela rappelle d’autres films judiciaires, comme La Vérité (1960), avec Brigitte Bardot, ou plus récemment, La Fille au bracelet (2020). Il y a aussi un petit peu de Douze hommes en colère (1957), car, comme dans le film de Sidney Lumet, on est invité à se demander selon quels critères on peut juger une personne, et si le verdict aurait été le même, ou non, dans d’autres circonstances.

Milo Machado Graner dans le rôle de Daniel © 2023 Les Films Pelléas/Les Films de Pierre

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A travers ce thème judiciaire, Justine Triet décrypte et dissèque la relation d’un couple en crise. Le spectateur passe de rien à tout, mais de manière très progressive, et découvre peu à peu le passé des deux conjoints dans les moindres détails. A partir de la chute d’un corps, la réalisatrice nous montre la chute d’une histoire d’amour, étape par étape. Le procès dépèce méthodiquement la relation des parents, faisant jaillir l’intime. Le tribunal devient une arène dans laquelle la parole occupe toute la place, avec cette duplicité entre l’anglais et le français, qui caractérise le personnage de Sandra, une Allemande ayant dû s’adapter dans un pays étranger.

Justine Triet a opté pour un film très nu sur le plan sonore : aucune musique originale n’a été composée. On entendra juste trois morceaux qui tournent parfois en boucle, ce qui permet à la cinéaste d’installer une tension permanente et d’alourdir un peu plus l’intrigue, et ce, dès le début du film. La première scène est très angoissante avec peu d’éléments.

Antoine Reinartz dans le rôle de l’avocat général © 2023 Les Films Pelléas/Les Films de Pierre

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Anatomie d’une chute ne serait pas aussi marquant sans son casting de qualité, porté haut par Milo Machado Graner. Le jeune acteur, qui incarne le fils de l’héroïne, est époustouflant, et livre un jeu incroyable, en particulier dans une scène finale puissante. Une chose est sûre : il ira loin. Le reste du casting est tout aussi persuasif, composé de Swann Arlaud, Antoine Reinartz, et surtout Sandra Hüller (déjà vue dans Sibyl), impeccable dans la peau de ce personnage très complexe, quasiment impossible à cerner.

Tous ces points positifs rendent le film certes réjouissant, mais pas si exceptionnel… On ne lui aurait pas forcément décerné une Palme d’Or. On l’a beaucoup aimé, mais peut-être pas au point de lui décerner le prix ultime. Il manquerait pour cela un petit quelque chose, mais on ne sait pas vraiment quoi… On repense à La Nuit du 12 de Dominik Moll, qui a raflé les César 2023 (six récompenses, dont celle de Meilleur film). Ce thriller, cette fois inspiré d’un fait divers réel, avait davantage habité notre esprit, et méritait plus amplement son couronnement. En résumé, Anatomie d’une chute est un film excellent, mais on ne lui attribuera pas l’étiquette de chef-d’œuvre.

18 / 20

Fanny BL

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