[César 2021] « Qu’importe si les bêtes meurent » : La critique et l’interview de Sofia Alaoui

Podcast : Origines du film, projets, César du court-métrage… Sofia Alaoui nous dit tout !

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« Qu’importent si les bêtes meurent » : Quand l’humanité est en plein doute

Grand Prix du Jury à Sundance, Prix Sens Critique au Champs-Elysées Film Festival à Paris, présentation à une cinquantaine de festivals dans le monde, dont celui de Clermont-Ferrand en France… L’année 2020 a été fructueuse pour le court-métrage Qu’importe si les bêtes meurent, de Sofia Alaoui… Et une étape supplémentaire vient d’être franchie, puisque le film a été nommé aux César 2021. Récompensée ou pas, la jeune cinéaste ira jusqu’au bout de son objectif : sortir son premier long-métrage, adapté de ce court.

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Mise à jour : Sofia Alaoui a reçu le César du meilleur court-métrage pour Qu’importe si les bêtes meurent lors de la 46ème cérémonie le 12 mars 2021.

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Qu’importe si les bêtes meurent raconte, en langue berbère, l’histoire d’un jeune berger, Abdellah, qui assiste, avec son père, à la mort de ses bêtes dans les hautes montagnes de l’Atlas marocain. Abdellah doit alors se ravitailler dans un village voisin, à plus d’un jour de marche. Mais une fois arrivé, il s’aperçoit que ce dernier a été déserté suite à un mystérieux événement qui bouleverse les croyants.

C’est dans un décor oriental champêtre que Sofia Alaoui pose les bases de son récit. Elle nous montre les paysages de l’Atlas marocain à travers des montagnes désertes et un village isolé, avec une touche visuelle forte. Les quelques plans de contemplation d’un ciel étoilé nous donnent le vertige par leur splendeur : on se sent tout petit dans l’immensité de l’univers.

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Fouad Oughaou dans le rôle d’Abdellah © Jiango Film

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Dans un esprit apocalyptique, Qu’importe si les bêtes meurent mêle des éléments réalistes et surnaturels pour nous raconter une invasion étrange sur la planète Terre… et donc, un bouleversement de l’univers. Comme dans beaucoup de films sur ce thème, le spectateur ignore la nature de ces « créatures », ces « gens du ciel » (termes utilisés dans l’histoire) et leurs intentions, ce qui l’intrigue davantage et retient son attention, crescendo, jusqu’au bout des 23 minutes de film. L’ambiance angoissante et pesante rappelle au simple mortel sa peur de l’inconnu, et donc, par extension, la crainte de l’extinction de son espèce.

Pour représenter cette chose mystique et incontrôlable, Sofia Alaoui préfère suggérer plutôt que de montrer. La réalisatrice fait appel à l’imagination du spectateur et l’invite à se questionner. Par exemple, quand le fou du village dit :  « Nous ne sommes pas seuls dans l’univers », est-il vraiment fou, ou finalement le plus lucide de tous ? Quand tout le monde se réfugie à la mosquée, choisissant de se tourner vers Dieu/Allah pour se sentir protégé, ont-ils raison de fuir, ou doivent-ils continuer à vivre, et affronter cette menace (si c’en est une) ? D’un côté, on aimerait bien découvrir ces entités, percer le mystère… mais d’un autre, il est fascinant de créer soi-même ses propres créatures dans son esprit, de concevoir la forme qu’elles pourraient adopter.

La menace est visible dans le ciel © Jiango Film

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Le sacré et le religieux sont omniprésents dans le film : la prière est une norme. Les bêtes ont un caractère sacré par la nécessité de leur survie – il faut à tout prix éviter qu’elles meurent de faim. Le chemin du berger jusqu’au village voisin prend des allures de pèlerinage : il est seul face à ses propres pensées. Avec l’irruption du fantastique dans son œuvre, Sofia Alaoui déconstruit les codes établis, en particulier ceux de la religion et de la société marocaine, qu’elle connaît bien, par sa nationalité. La menace inconnue qui arrive sur Terre est qualifiée « d’incarnation du diable » à la télévision. Quand Abdellah fait part de ses incertitudes à son père au sujet du monde dans lequel ils vivent et de leurs croyances établies, celui-ci, choqué par ses propos, le traite de mécréant et le gifle.

Même si l’idée du film a germé dans l’esprit de la réalisatrice il y a presque cinq ans, le sujet est en accord complet avec notre époque. L’humanité est remise en cause et subit une crise. Elle ne sait pas comment elle en sortira : plus forte, diminuée… ou un peu des deux. Le lien est également fait aisément, à l’heure où l’Homme est en train d’explorer la planète Mars, et n’arrête pas le progrès dans les domaines scientifique, médical, ou encore technologique. Le sujet est donc encore plus captivant, puisqu’on se projette facilement, et on s’identifie au personnage principal, complètement désemparé face à la situation.

Abdellah parcourt les rues désertes d’un village marocain © Jiango Film

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…Et Qu’importe si les bêtes meurent n’est qu’une première étape pour Sofia Alaoui, qui veut pousser la réflexion plus loin avec un premier long-métrage, adapté du court, intitulé Parmi nous. Le contexte serait le même – comment l’arrivée d’extraterrestres va bouleverser des personnages -, mais l’histoire serait légèrement différente, et racontée du point de vue d’une jeune femme qui se retrouve dans un milieu de nouvelle bourgeoisie, selon la cinéaste (interview à retrouver dans le podcast au début de cet article). Sofia Alaoui précise que cette fois, il n’y aura pas seulement une réflexion sur la religion et la société, mais aussi sur le rapport à l’argent.

Obtenir le César du meilleur court-métrage, le 12 mars prochain, permettrait à la jeune réalisatrice d’atteindre plus facilement son but, même si cette dernière est déterminée, coûte que coûte, à aller jusqu’au bout de son projet… et on suivra tout cela de près.

Fanny BL

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Les montagnes de l’Atlas marocain © Jiango Film

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