Ecoutez d’abord ce podcast :
Il fallait du cran pour s’attaquer à un monument comme West Side Story… Steven Spielberg a osé, et concrétise enfin un projet de longue date, repoussé pendant un an en raison de la pandémie. A tout juste 75 ans, le papa d’E.T. confirme qu’il n’a rien perdu de sa vigueur… Jusqu’à étouffer nos craintes et nous faire adorer cette nouvelle version filmique de la célèbre comédie musicale, déjà nommée quatre fois aux Golden Globes 2022.
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New York, 1957. Deux bandes de jeunes s’affrontent dans un quartier de l’Upper West Side : les Jets, des immigrés américains menées par Riff (Mike Faist), et les Sharks, immigrés d’origine portoricaine dirigés par Bernardo (David Alvarez). Récemment sorti de prison, Tony (Ansel Elgort), lié aux Jets, est lassé de ces querelles, et préfère se concentrer sur son travail dans la boutique de Valentina (Rita Moreno). Lors d’un bal, il tombe fou amoureux de Maria (Rachel Zegler), la sœur de Bernardo… Voilà qui va compliquer un peu plus les choses.
Une adaptation de la comédie musicale de Broadway (1957) : c’est ainsi que Steven Spielberg désigne son West Side Story. Le cinéaste réfute donc tout rapprochement direct avec le film original de Robert Wise (1961). Dans tous les cas, son long-métrage ressemble fortement à ses deux prédécesseurs. L’histoire, écrite par Arthur Laurents, l’extraordinaire musique signée Leonard Bernstein, les chansons écrites par Stephen Sondheim, les chorégraphies imaginées par Jerome Robbins… Tout est quasi-identique, ce qui, en soi, est une bonne chose.

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Steven Spielberg ajoute à cette base sa patte personnelle, mais de manière très subtile, sans jamais dénaturer l’œuvre originale. Sans surprise, son film est extrêmement bien réalisé : il n’y a aucun défaut de mise en scène. Mention spéciale à la chanson « Gee, officer Krupke !« . Le cinéaste l’a récupérée, décortiquée, et améliorée, pour en faire l’une des meilleures scènes du film. Même chose pour la séquence de la chanson « America », transposée dans la rue et magnifiée. A chaque fois, les chorégraphies sont remarquablement interprétées. Le spectacle est total : vous en prendrez plein la vue.
La comparaison avec le West Side Story de 1961 est tout de même inévitable. On notera quelques différences au niveau des plans, comme par exemple la scène d’ouverture, extrêmement raccourcie, ou bien sur certaines chansons, avec des modifications sur les interprètes ou leur ordre dans l’histoire… Eléments pour lesquels Steven Spielberg a pris quelques libertés, mais cela reste rare.

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Là où le cinéaste s’impose vraiment, c’est quand il met davantage en exergue le racisme, la discrimination et le sexisme de l’époque, à travers les dialogues, jeux d’acteurs et situations… Un regard politique qui pourrait d’ailleurs totalement s’appliquer à la société actuelle, aux Etats-Unis notamment. Même chose pour la gentrification de l’Upper West Side, et la différence de classes sociales dans le Manhattan des années 1950 : le message est beaucoup plus clair dans la version spielbergienne.
Autre bon point : tous les acteurs font tout eux-mêmes, danser, chanter, et bien sûr jouer… ce qui n’était pas le cas dans le film de Robert Wise, où tous les acteurs principaux avaient été doublés pour le chant, sauf George Chakiris (Bernardo). Natalie Wood (Maria), elle, avait seulement interprété la dernière chanson du film, mais avait été doublée pour toutes les autres… Steven Spielberg se rapproche donc encore plus de la comédie musicale de Broadway.

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La voix en or de Rachel Zegler est un vrai plus, même si la jeune actrice, âgée de 17 ans au moment du tournage, propose un jeu encore un peu trop hésitant, qui devra gagner en maturité… Compréhensible pour un premier rôle au cinéma. Nul doute que ce dernier la mènera loin : Rachel Zegler est nommée pour le Golden Globe 2022 de la meilleure actrice dans un film musical (cérémonie le 9 janvier prochain), et a déjà été choisie pour incarner Blanche-Neige dans le prochain remake en prises de vues réelles de Disney. Concernant Ansel Elgort (Baby Driver), c’est l’inverse : l’acteur est plutôt convaincant dans son jeu, mais un petit peu moins côté chant. Quant à Ariana DeBose (Anita), elle excelle dans les deux domaines. Elle aussi est nommée aux prochains Golden Globes, dans la catégorie « meilleure actrice dans un second rôle ».

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N’oublions pas de signaler la présence lumineuse de Rita Moreno, alias Anita dans le film de 1961. En plus d’être productrice déléguée du West Side Story 2021, elle incarne Valentina, une version retravaillée du personnage de Doc, l’épicier dans le film précédent. Son rôle est humble et discret, mais occupe tout de même une place importante, et ravira les fans les plus nostalgiques.
Autre démarche honorable : les personnages portoricains sont tous joués par des acteurs latinos-américains, contrairement au film de Robert Wise où ils étaient très peu nombreux, et qui on avait demandé de se foncer la peau et d’exagérer leur accent. Steven Spielberg a voulu aller encore plus loin : il a choisi de ne pas sous-titrer les passages en espagnol, pour souligner l’importance de cette langue aux Etats-Unis (aujourd’hui encore), et donner plus d’authenticité au récit. L’idée était bonne, mais risque de faire un flop auprès de certains spectateurs non hispanophones : ils n’arriveront pas forcément à « deviner » tout ce qui se dit, et se sentiront alors perdus dans la compréhension des dialogues.

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Vous l’aurez compris : le West Side Story de Steven Spielberg s’adresse surtout aux fans de la première heure, mais pourrait aussi intéresser une nouvelle génération… Bien sûr, il faut aussi aimer les comédies musicales et ne pas avoir peur du côté romance de ce « Roméo et Juliette moderne, version new-yorkaise » : si vous n’avez jamais vu le classique, sachez que c’est cela qui vous attend, et laissez tomber si ce n’est pas votre tasse de thé.
Même s’il n’a rien inventé par rapport au West Side Story 1957, Steven Spielberg a malgré tout réussi à s’approprier cette œuvre monumentale et à la rendre encore meilleure. Son objectif de départ de renouveler l’original tout en rendant hommage au passé, est atteint. Le cinéaste reste totalement fidèle à ce qui en fait l’essence : une ambiance tragique et sombre qui contraste avec l’optimisme des mélodies ; des paroles aux messages forts pour accompagner des danses dynamiques et des costumes très colorés ; et un regard acéré sur la société américaine de l’époque, à travers une comédie musicale en apparence joyeuse.
18 / 20
Fanny BL

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Retrouvez ici mon article sur le West Side Story de Robert Wise (1961), et ici mon podcast sur le duo Steven Spielberg-John Williams !
Waouhhh, 18/20, une superbe note !! J’ai adoré moi aussi, j’aime les comédies musicales. Et grâce à ta critique, je l’apprécie encore plus. Je ne savais pas que tous les acteurs chantaient cette fois-ci. Et tous les détails sur les ajouts de Spielberg. Franchement bravo !!! J’ai adoré aussi la scène de la chanson America !! Grandiose ! Et pour les passages en espagnol sans les sous-titres, je ne pense pas que cela soit gênant. On arrive facilement à comprendre, ce n’est pas trop compliqué. Et ça apporte une touche en plus !! Voilà, j’ai envie d’aller découvrir l’Upper West Side maintenant ahaha
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Merci pour ton retour ! Toujours un plaisir tes petits commentaires, attentionnés et constructifs 🙂
J’ai été un peu larguée sur certains passages et mon conjoint aussi, on se regardait d’un air interrogatif quand ça devenait trop long xD Mais chacun a un ressenti différent face à cette démarche qui est de toute façon intéressante.
Oui, sublime scène de la chanson « America » ! J’espère qu’Ariana DeBose aura un Oscar du meilleur second rôle pour sa prestation.
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